Jean-Marc VIVIER

Je me trouvais dans le petit square, juste en face de la porte Beucheresse. J’étais venue pour saluer Jarry, monté sur socle par les soins du sculpteur Zadkine. Et j’admirais... Figé pour l’éternité dans une attitude assurément des plus fatigantes, le créateur d’UBU se campe sur un vélo fait pour rouler exclusivement dans les nuages. Pistolet dans une main, une liasse de feuillet dans l’autre, il parvient à écrire tout en maintenant son regard tourné vers le ciel, ce qui dénote une rare faculté de concentration, jointe à un sens quasi miraculeux de l’équilibre. Une voix demanda derrière moi: 

Qu’en pensez-vous? De qui? dis-je; de JARRY ou de ZADKINE?

Un petit bonhomme vieillissant s’était approché. D’où venait-il?  Je ne l’avais pas entendu arriver. 
Il eut un sourire propitiatoire: Excusez-moi, dit-il. Je sais bien que je ne devrais pas aborder les gens comme ça. 
Mais c’est plus fort que moi. Quand je rencontre une personne que je sens réceptive...
           
 -Réceptive à quoi? A mes élucubrations?...  en somme quelqu’un d’un peu fou?... Je comprends; vous êtes très bien tombé.
 
            J’en étais sûr dit galamment le monsieur. Et il continua, fort à l’aise:
            Je me présente: pour ne blesser personne, disons que je m’appelle Léonard. Je suis magicien. 
            Ah bien? En quoi votre art consiste-il? 
            Je peux faire revivre pour quelques instants, en votre présence, tous ceux que vous désireriez  rencontrer. 
Telle que je vous devine, vous allez me demander de réincarner pour vous les artistes qui ont hanté notre bonne ville, peintres, musiciens, poètes, sculpteurs... Est-ce que je me trompe?
Ce serait merveilleux, dis-je, si c’était réalisable. Mais vous comprenez que je demande à voir?           
 Mais tout de suite, chère amie. Comment vous appelez-vous? Suzanne. Et de fréquenter des originaux, moi j’ai l’habitude.

            Eh bien, chère Suzanne, nous allons commencer tout de suite. Voyez la Porte Beucheresse. 
Ne lui trouvez-vous rien d’étrange? Elle est parcourue d’un jeu d’ombre et de lumière tombées du ciel, 
qui dessinent un ensemble de diagonales. J’en étais sûr triompha Léonard. Ce n’est plus la Porte Beucheresse, mais un arc de triomphe. C’est l’entrée vers l’aventure rêvée.

Texte de Suzanne SENS, Avec l’aimable autorisation de l’Auteur

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